La perte de compétitivité est un fait économique majeur des deux dernières décennies en France. Etroitement liée à une désindustrialisation plus forte que dans les autres grands pays de la zone euro, elle est le principal facteur de divergence de niveau de vie par rapport à l’Allemagne, et de maintien d’un chômage de masse. Après la dégradation de leur compétitivité-coût au début des années 2000, nombre d’entreprises industrielles n’ont en effet pas résisté à la compression de leurs marges. Les autres ont "survécu" grâce à une substitution accrue du capital au travail, au détriment des salariés les moins qualifiés.

La compétitivité peut être définie comme "l’aptitude d’une économie à produire des biens et des services qui satisfont au test de la concurrence sur les marchés et à augmenter simultanément et durablement le niveau de vie de sa population". Or l’économie française a été déficiente sur ces deux volets à partir du début des années 2000: (1) nos parts de marché à l’exportation ont fortement reculé relativement aux autres économies de la zone euro, à l’Allemagne en particulier ; (2) notre niveau de vie relatif, apprécié à partir du PIB par habitant, s’est effrité par rapport à nos voisins allemands.

Proche de celui de l’Allemagne en 2000, le niveau du PIB par habitant en France lui est inférieur d'environ 8% vingt ans plus tard

L'écart s’est creusé sous l’effet d’une dépense de consommation publique plus soutenue en Allemagne qu’en France et d’un écart d’évolution du solde extérieur défavorable à la France. À l’inverse, la consommation des ménages et l'investissement par habitant ont été plus soutenus en France qu’en Allemagne. En fait, la divergence de PIB par habitant entre les deux pays est essentiellement attribuable à la divergence de solde extérieur par habitant. Plus précisément, le volume des exportations par habitant de la France représentait 90% de celui de l'Allemagne en 2000 et seulement 60% en 2018. On peut ainsi interpréter la divergence de PIB par habitant entre les deux économies comme une divergence dans la capacité à satisfaire la demande mondiale.

Une perte de parts de marché à l'exportation, observable à l'échelle de la zone euro, qui se traduit par une perte de revenus d'exportation

En 2000, les exportations françaises de biens et de services représentaient en valeur 17,9% de celles de la zone euro. En 2020, les parts de marchés françaises en zone euro sont tombées à un point bas historique (13,7%) soit un recul de -4,2 points alors que les parts de marché de l’Allemagne ont progressé de plus de 3,5 points. Celles de l'Espagne sont restées quasi stables, celles de l'Italie reculant de -3,1 points. Ce recul se traduit par une perte de revenus d’exportation de près de 200 milliards d’euros par an, soit les revenus d'exportation supplémentaires de la France si sa part de marché s’était stabilisée à son niveau de 2000, en faisant abstraction des importations nécessaires aux exportations.

La moindre mobilisation du travail en France explique les deux-tiers de la divergence de revenu par rapport à l'Allemagne

Les travaux de Rexecode ont notamment montré que des politiques du marché du travail radicalement opposées au moment de l’introduction de la monnaie unique ont entrainé une divergence de coût salarial unitaire entre les deux pays, corrigée tardivement par les mesures du CICE et du Pacte de responsabilité en France et atténuée par l’accélération salariale en Allemagne. Ces politiques ont aussi contribué à créer une divergence dans la mobilisation du travail, comme l'illustre la décomposition de l’écart d’évolution du PIB par habitant appréciée à partir de la fonction de production sur la période 2000-2019.

Ecart du PIB par habitant en Allemagne  par rapport à son niveau en France (graphique)

Sur cette période, la hausse du taux d’activité (part de la population active dans la population en âge de travailler), puis la baisse du taux de chômage expliquent les deux tiers de l'écart de PIB par habitant en faveur de l’Allemagne. A l’inverse, la productivité a toujours joué en faveur de la France. Cette moindre mobilisation du facteur travail a deux grandes raisons :

(1) Le marché du travail français exclut de plus en plus les moins diplômés (niveau de formation initiale CITE 0 à 2, soit 18% des 20 à 64 ans en France, 14% en Allemagne). Alors qu’en France, leur taux d’emploi a reculé de 6 points en 15 ans, il en a gagné 10 en Allemagne de 2005 (premier point connu) à 2019: c'est la principale explication à l’écart d’évolution des taux d’emploi des 20-64 ans entre les deux pays.

(2) La durée de vie au travail a moins progressé en France (+3,3 ans) qu'en Allemagne (+4,8) entre 2000 et 2019. Elle est estimée par Eurostat à 35 années en France contre 39 en Allemagne, où l'âge effectif de départ à la retraite est plus tardif (+2,5 ans). Par ailleurs, l’écart entre la France et l’Allemagne de durée annuelle du travail pour un salarié à temps complet a peu bougé entre 2000 et 2019.

L’emboîtement des pertes de parts de marché avec la moindre mobilisation du facteur travail

Les données de la comptabilité nationale montrent que l’industrie française a dû faire face à une double pression à la hausse sur les coûts: les coûts directs de main-d’œuvre, mais aussi le coût des intrants provenant des secteurs abrités qui ont pu, au moins partiellement, répercuter dans leurs prix de vente leurs hausses de coûts.

Dans un contexte de concurrence internationale leur imposant leur niveau de prix, la hausse des coûts des consommations intermédiaires a comprimé les marges des entreprises industrielles (80% des exportations françaises). Cette baisse des marges a eu deux effets: d’une part, elle a pesé sur les capacités à innover et à "monter en gamme" ; d’autre part, elle a entraîné la disparition progressive d’entreprises devenues insuffisamment rentables. Le nombre d'entreprises industrielles de plus de 20 salariés a diminué de 40% depuis 2002, une chute d’une ampleur inégalée dans les grands pays européens. La part de la valeur ajoutée industrielle de la France dans celle de la zone euro a chuté de 17,9% en 2000 à 14,2% en 2020 (-3,7 points, record de la zone euro).

Progressivement n’ont "survécu" que les entreprises les plus efficaces, ce qui (par effet de structure) a conduit à une accélération artificielle de la productivité industrielle et contenu la dynamique des coûts salariaux unitaires, mais sur une base de valeur de plus en plus étroite. Les entreprises ont limité l’impact direct des hausses salariales par des gains de productivité du travail grâce à une forte substitution du capital au travail, notamment du travail à faible niveau relatif de productivité. Cela explique aussi la performance en trompe l'oeil de la France en matière de taux d'investissement.

Couv Realites industrielles nov 2021

L'article complet de Denis FERRAND et Emmanuel JESSUA est paru dans :

La compétitivité de la France au sein de l’Europe

Annales des Mines, série Réalités industrielles, Novembre 2021

Dossier en accès libre avec des articles de :

Vincent AUSSILLOUX, Jean-Paul BETBEZE, Sylvaine BRUNEAU, Alain CADIX, Paul CATOIRE, Serge CATOIRE, Arnaud DELAUNAY, Philippe FROCRAIN, Henri LAGARDE, Rémi LALLEMENT, Valérie MIGNON, Quentin NAVARO AUBURTIN, Grégoire POSTEL-VINAY, Jean-Paul TRAN THIET et Mathieu WEILL.

 

Les travaux de Rexecode sont cités dans les articles suivants du dossier:

• La politique industrielle de retour au coeur de l’action publique
Rémi LALLEMENT, Vincent AUSSILLOUX et Philippe FROCRAIN (France Stratégie)

"En 2016, l’ensemble des prélèvements obligatoires sur l’industrie manufacturière a représenté 28% de la valeur ajoutée brute, contre 24% pour les autres secteurs (hors finance) (COE Rexecode, 2018, Poids et structure des prélèvements obligatoires sur les entreprises industrielles en France et en Allemagne, Document de travail, n°68)

• Quelles compétences pour quelle compétitivité ?
Alain CADIX (membre de l’Académie des technologies)
"Les indicateurs de compétitivité de la France se sont fortement dégradés en 2020, plus que ceux de ses principaux compétiteurs (Rexecode (2021), La compétitivité française en 2020, Document de travail, n°77)