Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
La politique monétaire du Gouverneur de la Fed Paul Volcker a ouvert il y a 40 ans une ère de Grande Modération de l’inflation qui a encore cours dans les pays avancés, au point que le risque inflationniste ne parait plus poser question. Pourtant, les facteurs qui ont jusqu'ici pesé sur la dérive des prix des biens ont tendance à s'épuiser, tandis que de nouveaux défis (vieillissement, transition énergétique) apparaissent.
Il y a 40 ans, Paul Volcker accédait à la tête de la Fed avec un objectif clair: lutter contre la hausse des prix, alors supérieure à 10%. Sa politique monétaire a ouvert l’ère de la Grande Modération de l’inflation, une ère qui se prolonge.
A tel point que, malgré leurs tentatives de réanimation, la BCE comme la Banque du Japon repoussent année après année l’atteinte d’un objectif de hausse des prix à la consommation de 2%. La Fed, elle-même, fait référence à une tolérance "symétrique" : elle est donc prête à accepter une progression des prix au-delà du seuil de 2% tant elle croit peu à un risque de spirale inflationniste.
Toutefois, pour que cette "Grande Modération" de l'inflation se prolonge, de nouveaux ingrédients seront nécessaires, ceux de la recette originale ayant tendance à s'épuiser.
- Le premier de ces ingrédients était des taux directeurs réels très positifs. Mais, cela fait désormais plus de 10 ans que la Fed affiche des taux directeurs réels négatifs ou nuls.
- L’ouverture accrue des économies aux échanges mondiaux, et notamment de l’économie américaine, a également été un puissant vecteur de baisse des prix. Or l’approfondissement des échanges est révolu depuis 2008 à l’échelle mondiale.
- Autre vecteur passé de baisse des prix, les gains de productivité aux Etats-Unis comme dans le monde ont certes connu des oscillations des années 1980 aux années 2000, mais ils n’ont jamais été aussi faibles qu’au cours de la décennie 2010.
- La désindexation des salaires et, d’une manière générale, la réduction tendancielle du pouvoir de négociation des salariés aux Etats-Unis a contribué à la baisse régulière de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Là encore, ce mouvement n’est plus d’actualité outre-Atlantique depuis 2013.
- Dernier ingrédient, l’endettement des ménages a longtemps joué un rôle de supplétif à la progression des revenus salariaux pour soutenir leur pouvoir d’achat. Il a laissé place depuis 10 ans à une réduction tout aussi tendancielle de leur endettement.
Ces ingrédients ont perdu de leur force alors que de nouveaux défis surgissent. C’est celui de la réapparition de la première des raretés: celle des compétences. Les tensions sur le marché du travail aux Etats-Unis s’aiguisent et percolent progressivement en une hausse salariale sans conséquence sur les prix des biens jusqu’à présent. Ce sont surtout les défis structurels du vieillissement démographique, de la transition énergétique, du réchauffement climatique qui font peser un risque d’accélération des coûts puis des prix. Ces transitions viendront nécessairement déplacer vers le haut la frontière des coûts à supporter pour l’économie.
Epuisement des ingrédients, nouveaux défis .... Pourtant, personne ne croît au retour de l’inflation mesurée au niveau des biens. Il n’est qu’à voir la platitude des prévisions d’inflation, FMI en tête.
Pour que la faible inflation perdure, il faudra compter sur des gains accrus de productivité permis par l’essaimage du digital. Cela supposera aussi de contrer le penchant monopolistique de l’économie numérique, peu propice à une baisse durable des prix. Dans ce contexte, l’enjeu d’une politique de concurrence renforcée devient crucial. A défaut, ce sont bien les ingrédients du retour inattendu de l’inflation qui se réuniront, à moins d’imaginer que l’inflation ait durablement muté, dans le sens où ce sont moins les biens et services qui en sont le moteur que les actifs, immobiliers comme financiers.
La tribune de Denis Ferrand est disponible sur le site des Echos
L'interview de Denis Ferrand par Adrien de Tricornot sur Xerfi Canal