Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
L'économie française reste bridée par son handicap de compétitivité. Le CICE et le Pacte de responsabilité ont permis de contenir la hausse relative des coûts salariaux mais cette tendance s'inversera en 2018 en l'absence de nouveaux allègements. D'autres problèmes restent à affronter : les impôts anormalement élevés sur la production, la formation, les charges sur les salaires des plus qualifiés. S'il n'est pas forcément trop tard pour relancer notre système productif, il y a en tout cas urgence.
Denis Ferrand a répondu aux questions de L'Opinion sur la situation de la compétitivité française.
Dans une récente étude, vous montrez que pour la première fois depuis 2012 le coût horaire dans l’industrie progresse plus rapidement en France qu’en Allemagne...
" La France reste encore sous l’Allemagne en termes de coûts horaires dans le secteur manufacturier avec un coût salarial qui représente 93% de celui pratiqué Outre-Rhin soit une différence d’un peu plus de 2 euros. Mais il est vrai que sa progression récente est plus rapide et qu’il faut surveiller ce changement de tendance. D’autant que la France reste toujours nettement devant s’agissant de l’ensemble des autres coûts horaires. Cela nuit à la compétitivité globale des entreprises, y compris dans le secteur manufacturier qui s’appuie par définition sur d’autres secteurs, notamment celui des services, à travers le transport ou la logistique."
Comment s’explique cette inversion ?
"Depuis quelque temps, on sent clairement que la France, comme ses voisins européens, est entrée dans une phase de remontée des salaires après plusieurs années de modération. C’est une bonne nouvelle du point de vue de la demande, mais une moins bonne s’agissant de la compétitivité. D’autant que si nos coûts salariaux globaux progressent depuis la fin d’année au même rythme que celui de nos voisins, l’année prochaine devrait les voir s’accélérer. A compter du 1er janvier 2018, le CICE verra son avantage réduit de 1 point, pour revenir à 6% du bas salaire, contre 7% précédemment. Une manière de préparer la bascule à la baisse de charges prévue en 2019. "
On a pourtant l’impression que la compétitivité n’est plus une priorité pour le gouvernement…
"Effectivement. Coe-Rexecode avait eu un débat pendant la campagne: Jean Pisani-Ferry, qui coordonnait le programme économique d’Emmanuel Macron, nous avait clairement répondu qu’avec la bascule du CICE en transfert de charges dès le 1er janvier 2019, tout aurait été fait du côté des coûts et que le reste du quinquennat devrait être consacré à d’autres politiques de compétitivité, par exemple la réforme de la formation. Ce discours est en train d’évoluer avec des déclarations du ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, qui n’exclut plus d’élargir les baisses de charges aux salaires plus élevés. Mais il faut vraiment aller au bout de la démarche : depuis vingt ans, la politique française en matière de compétitivité se résume à faire financer les baisses de charge sur les bas salaires par des charges élevées sur les hauts salaires. C'est absolument contradictoire avec la nécessité de monter en gamme pour continuer à exporter."
Quels sont nos autres problèmes de compétitivité ?
"Les impôts sur la production restent le talon d’Achille des entreprises françaises. Ces taxes acquittées sur le chiffre d’affaires et non sur les bénéfices – qui viennent se grever au haut du bilan – sont trois points plus élevées en France qu’en Allemagne. Au total, cela représente près de 70 milliards d’euros de taxes en plus acquittées par les entreprises françaises. C’est dramatique car cela revient à faire payer aux entreprises une imposition régulière sur leur activité, moins cyclique par nature qu’une fiscalité reposant sur les résultats qui sont beaucoup plus dépendants de la conjoncture économique. En outre, les taxes de production pèsent souvent sur la masse salariale, bridant la croissance des entreprises."
Comment peut-on restaurer la compétitivité dans un contexte actuel de forte croissance ?
"Améliorer la formation des salariés pour les rendre mieux employables et plus efficaces est évidemment la meilleure réponse pour doper la compétitivité à moyen terme. Mais j’ai une crainte, fondamentale : ce tournant (de même que celui sur le CICE en 2014) n’arrive-t-il pas trop tard compte tenu de la fragilisation de notre tissu productif ? Dis autrement, à quoi servira-t-il de faire une politique de formation ambitieuse dans un territoire où l’emploi et la production se sont déjà tellement atrophiés que de toutes les façons il n’y aura aucun débouché ?
Rien ne dit cependant que cette sombre hypothèse se vérifiera. Nous aurons sûrement la réponse en 2018 : nous saurons enfin si la France est à nouveau capable de dépasser le plafond de verre productif qui l’empêche d’accélérer franchement et d’embaucher. La situation rappelle véritablement celle du début des années 1980 où le tissu productif était laminé. Avec le tournant de la rigueur en 1983, nous avons vu les marges des entreprises se reconstituer, puis servir à relancer l’investissement ce qui a permis de renforcer les capacités de production. Nous sommes peut-être dans ce schéma-là actuellement, comme en témoigne la hausse de plus de 4% cette année de l’investissement des entreprises."
Quelle analyse portez-vous sur la dégradation du commerce extérieur ?
"Il y a deux lectures possibles. La vision positive consiste à dire que si notre balance commerciale se dégrade, c’est parce que nous investissons de plus en plus, conduisant à une hausse mécanique des importations. C’est particulièrement le cas des usines ou du matériel informatique : les biens d’équipement ou les ordinateurs ne sont pas fabriqués en France et nous sommes obligés d’en importer pour reconstituer notre base productive. La vision négative consiste à rappeler que la France continue à perdre des parts de marché dans le monde. On s’aperçoit notamment que sa part dans les exportations européennes se réduit, ce qui signifie que certains de nos voisins gagnent des parts de marché."
Comment y répondre ?
"La meilleure réponse est d’ordre macroéconomique : la compétitivité doit être recherchée sur l’ensemble de la courbe de production, y compris dans les hauts salaires, créateurs de forte valeur ajoutée. Cela impose au préalable de retrouver des marges de manœuvre budgétaires pour réduire la pression fiscale. On en est très loin avec une dépense publique qui continue d’augmenter rapidement.
Or, les choses bougent incontestablement ailleurs. En Italie, par exemple, si souvent décriée, on constate que les parts de marché dans les exportations européennes se sont stabilisées depuis un peu plus de cinq ans. La Chine, de son côté, a cessé de prendre des parts de marché sur les produits à faible valeur ajoutée. Elle monte en gamme, rapidement. C’est un défi pour nous."
Propos recueillis par Cyrille Lachèvre
Réformes: pourquoi il faut accélérer maintenant
L'Opinion, 28 décembre 2017
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